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Je n'avais encore jamais rencontré Lions lors de ma première rentrée comme assistant en septembre 1969. J'avais une fois aperçu de loin la crinière (déja) blanche de celui qui était pour moi, étudiant provincial, l'auteur de livres et de théorèmes, le maître de mes maîtres, bref quelqu'un d'inaccessible.
Un samedi après midi, j'étais complètement absorbé par l'écoute d'un concerto de Bach quand le téléphone sonne : ``Allo! Ici Lions !...Vous avez quelque chose pour écrire ?" S'en suivit une véritable avalanche de lieux et dates de séminaires, la manière de se rendre ici ou là, à l'Iria (sans "n" à l'époque), les noms des personnes intéressantes (il y en avait beaucoup...) avec leur numéro de téléphone, leurs spécialités, etc. J'avais tous les renseignements sur tout. J'en suis resté complètement abasourdi. J'ai plus tard retrouvé cette liste et me suis amusé de l'orthographe fantaisiste que j'avais alors donnée aux noms de ceux qui ensuite sont devenus des amis.
La suite fut plus classique, ``l'âne qui trotte", aurait-il dit. Le premier sujet de travail que Lions me donna est à ma connaissance un problème encore ouvert... Les rencontres en tête à tête avec le maître étaient toujours brèves et intenses. Nous n'allions le voir qu'avec des questions précises ou une déprime profonde mais nous ressortions chaque fois de son bureau avec un gros moral et plein d'idées. Lions n'avait jamais de mépris. Il respectait les personnes et ne faisait aucun cas de leur origine (à tous les sens du terme pour un mathématicien...). Lorsqu'une idée qui lui était présentée lui semblait intéressante, sa réponse était immédiate et fulgurante, le plus souvent par écrit. Lorsqu'il ne répondait pas, il valait mieux comprendre par soi-même...
Puis il y eut ``la" lettre, toujours avec l'en-tête JL2 flèche Machinchose, flèche en forme de Z bien sûr :
1) Ça fait une thèse. Il faut rédiger 2) A partir de maintenant on se tutoie 3) ....
Lui mettait tout de suite cela en oeuvre mais j'ai passé plusieurs semaines à tourner autour du ``tu" qui n'arrivait pas à sortir (j'en connais qui ont mis plusieurs mois à s'y faire, n'est-ce pas Fulbert ?).
Pendant le pot de ma thèse, alors que je lui disais que j'avais dorénavant la volonté et le temps de m'attaquer à un problème important, il me dit : ``Quand on veut passer de l'autre côté d'un mur, il ne sert à rien d'aller se cogner la tête dedans. En général, il vaut mieux en faire le tour." J'enregistrai cette leçon de pragmatisme.
Il émanait de Lions une chaleur humaine peu commune et un optimisme constant dont il a toujours fait bénéficier son entourage. C'était un homme du sud et il le revendiquait fortement. Cette chaleur humaine, il la communiquait particulièrement aux jeunes, spécialement ceux des pays lointains qu'il a toujours encouragés de très forte manière. Globe-trotter infatigable, il se débrouillait je ne sais trop comment pour inviter à Paris tous ceux qui manifestaient de l'intérêt pour les mathématiques appliquées et la volonté de travailler. Et ceux qui venaient par d'autres moyens étaient accueillis de la même manière. Je me trouvais à Santiago du Chili lorsqu'on lui a décerné le titre de Docteur Honoris Causa de l'Université du Chili. La séance solennelle commença par un joli discours d'un jeune professeur chilien qui n'était pas un de ses élèves directs et que Lions connaissait, mais peu. Dans sa réponse, Lions commença par remercier ``mon collègue le Professeur...". Tout était dit, de manière si simple et si forte.
Lions savait donner sans condescendance. De même, il ne cherchait pas (ou pas toujours) à cacher ses émotions. J'ai eu l'occasion d'être assis à ses côtés lors de deux conférences importantes (très importantes) de Pierre-Louis. Il ne tenait pas en place et affichait une nervosité qu'on lui connaissait rarement... jusqu'aux trois quarts de la conférence. Ensuite il me dit : ``C'est pas mal non? Il s'en tire bien, je suis content".
Sans jamais en faire étalage, Lions avait toujours très présentes toutes les expériences fortes de sa vie et il savait y faire allusion aux moments opportuns. Peut-on comprendre sans l'avoir vécu l'importance de combattre dans la résistance à quinze ans?
Des souvenirs, des anecdotes, j'en ai mille et plus, des plus
importantes aux plus
simples mais significatives. Mais l'influence de Lions sur ma pensée, sa
philosophie sur les mathématiques et sur la vie, elles, sont
continues. C'est pour moi
un honneur, une fierté et surtout un grand bonheur que d'avoir
côtoyé ce grand
maître et ce grand homme.
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Témoignage parus dans
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MATAPLI 66 (octobre 2001) pages 17-41.
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