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Comme certains collègues souligneront probablement la portée exceptionnelle de l'oeuvre scientifique de Jacques-Louis Lions, j'essaierai de mettre ici l'accent sur ses qualités humaines et éthiques qui revêtent à mes yeux autant d'importance que son immense talent scientifique. L'ensemble de ses qualités ont fait de lui une personne d'exception. Et pour mettre en valeur sa générosité et son sens de l'éthique, je mentionnerai certains événements dont j'ai été témoin.
En 1956, j'ai été nommé assistant à l'Université de Rosario, en Argentine, attaché à la chaire du professeur Beppo Levi, mathématicien italien qui s'était réfugié en Argentine en 1939, juste avant la deuxième guerre mondiale. Le premier papier que Beppo Levi me donna à lire fut Les espaces du type de Beppo Levi de J. Deny et J.-L. Lions, paru deux ans auparavant. Beppo Levi m'a fait part d'un échange de lettres avec J.-L. Lions dans lesquelles il proposait d'appeler ces espaces les espaces de Deny-Lions, et Lions avait refusé. Je consacrai énormément de temps à cette lecture, qui m'a permis, en outre, d'établir une longue et fructueuse correspondance avec Lions. Je conserve avec bonheur toutes ces lettres dans lesquelles il ne manqua jamais de joindre à ses nombreux conseils, commentaires et explications, des mots d'encouragement afin que je persévère dans mes efforts. Je n'avais que 22 ans et entretenir une correspondance avec lui constituait déjà en soi une petite merveille. Nombreux sont, sans doute, ceux qui ont bénéficié de son soutien en de pareilles occasions, fait assez rare dans le monde de la recherche pour ne pas être mentionné. Si on ajoute à son attitude bienveillante et généreuse ses autres qualités, il apparaît évident que travailler à son contact était très agréable.
Quelque temps après, vers la fin des années 60, j'ai eu l'occasion de travailler durant deux ans avec Guido Stampacchia (Ritz-Galerkin, principes variationnels de la Mécanique,...). J'ai ainsi été temoin de la naissance des inéquations variationnelles. Cela me permit de reprendre tout naturellement contact avec J.-L. Lions. Et au début de l'année 1968 une réunion eut lieu qui marqua un tournant dans mon existence. De son côté, l'Iria avait déjà pris forme. A l'Université de Rosario, pour notre part, nous avions créé en tant que division de l'Institut de Mathématiques de la Faculté de Génie Civil, le "Centro de Matemàtica Aplicada y Càlculo", dont les travaux étaient orientés vers le domaine industriel. L'existence de ce type de laboratoire, fonctionnant à l'intérieur d'une Université, l'intéressa. Il considéra que toutes les conditions requises pour établir entre l'Iria et notre Centre une intense collaboration au niveau expérimental - sous des formes novatrices qui restaient encore à définir - étaient réunies. Cette collaboration devait s'orienter vers le domaine "Analyse de systèmes, optimisation et contrôle". Il me proposa d'y réfléchir "conjointement" et utilisa (avec beaucoup de politesse!) le pluriel, alors que l'idée et la possibilité de mettre en oeuvre ce projet émanait presque entièrement de lui. Le projet prit forme et il décida de fixer un jour pour visiter notre Centre et signer l'accord de collaboration.
Et maintenant, place à l'anecdote. Le 17 octobre 1970 (jour choisi pour sa visite), une grève générale nationale très dure et violente était annoncée en Argentine. Lions ne fut pas choqué mais sembla au contraire très intéressé à venir nous rendre visite en de pareilles circonstances. Puisqu'il ne nous paraissait ni opportun ni sûr de le loger dans un hôtel d'un certain standing, il passa toute la journée chez moi, et l'on organisa de nombreuses réunions auxquelles affluaient dans la plus grande discrétion étudiants, membres du Centre, de l'Institut de Mathématiques et représentants de l'Université. A la tombée de la nuit, l'accord fut signé. Bien au-delà des mots, le plus important réside dans les conditions qu'il imposa de vive voix :
1) assurer "la circulation des informations" concernant les progrès ou les autres aspects se référant au développement de notre collaboration ;
2) reconnaître avec le maximum d'honnêteté ("être loyal") le niveau de contribution des différentes équipes participant au programme, à l'obtention de nouveaux résultats ;
3) gérer et administrer avec une entière transparence toute participation (désirée !) d'utilisateurs potentiels des résultats de notre recherche.
Depuis ce jour, j'eus de nombreuses opportunités, en particulier lorsqu'il s'agissait de la direction
d'équipes, de l'entendre énoncer ces principes. Mais les occasions où je le vis les mettre en
pratique furent encore plus importantes à mes yeux. Au fil des ans, à travers son action et non pour la
simple énonciation de ces critères, Lions devint de toute évidence pour beaucoup d'entre nous un modèle
à suivre, un Maître. En ce qui concerne ce programme de collaboration, toujours en vigueur, et qui a
continué à se développer avec succès, il n'a jamais cessé de recevoir le soutien inconditionnel de
Lions qui y participa jusqu'à la fin de l'année 2000. En effet, depuis cette visite mémorable qui eut
lieu en 1970, il fut à l'origine, orienta et accompagna les recherches de deux générations de
mathématiciens de Rosario qui eurent ainsi l'énorme privilège de rencontrer un homme et un scientifique
exceptionnels. Pour terminer, je souhaiterais ajouter, sans m'éloigner de la ligne adoptée tout au long
de cette contribution, que j'ai été témoin à plusieurs reprises d'interventions personnelles de J.L.
Lions, généralement couronnées de succès, visant le retrait de mesures politiques ou
administratives arbitraires et injustes qui frappaient certains de ses collègues, en France ou à
l'étranger. Enfin, lorsqu'il s'intéressa aux problèmes atmosphériques et aux conséquences des
changements climatiques, lorsque les plus hautes instances politiques s'adressèrent à lui afin de
réfléchir à d'éventuelles solutions, ses réponses prirent toujours en compte l'importance des efforts à
fournir par les pays en voie de développement dans la mise en place de telles solutions. Il fut ainsi
le défenseur de formes de participations très originales qu'il avait proposées. De la même manière que
d'autres propositions plus anciennes faites par J.L. Lions se sont matérialisées, il serait souhaitable
que ses dernières puissent se concrétiser sans trop tarder.
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Témoignage parus dans
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This memory has been published in
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MATAPLI 66 (octobre 2001) pages 17-41.
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