Séance
inaugurale du Congrès international de
mathématiques appliquées,
à la mémoire de Jacques-Louis Lions
Monsieur
l'Administrateur,
Monsieur le Président de l'Académie des
Sciences
Mesdames et Messieurs,
Voici
quelques jours, à peine engagée dans l'exercice
de mes nouvelles responsabilités ministérielles,
j'ai pris connaissance avec grand intérêt
de votre aimable invitation à m'exprimer lors
de cette séance inaugurale du "Congrès
de mathématiques appliquées" à
la mémoire du grand mathématicien français,
Jacques Louis Lions.
C'est
bien volontiers que j'ai répondu de manière
positive à cette sollicitation de participer
personnellement, dans cette prestigieuse enceinte du
Collège de France, à la célébration
d'un homme de science et d'action exceptionnel qui fait
honneur à notre pays.
La
vie du Professeur Jacques-Louis Lions a été
entièrement consacrée aux mathématiques
et au développement de leurs interfaces avec
les autres domaines du savoir. Il fût à
la fois un universitaire, un artisan du développement
de l'informatique, un responsable de l'aventure spatiale
française et européenne, un scientifique
présent dans le monde industriel, un académicien
engagé, un moteur du développement des
relations internationales. C'est cet homme, multiple
dans ses engagements, cet esprit ouvert, ce pionnier
de l'inter-disciplinarité que nous honorons aujourd'hui.
Il
fut d'abord un chercheur et un universitaire. Après
sa formation à l'Ecole Normale Supérieure,
il fut chercheur au CNRS, puis successivement professeur
à la faculté des sciences de Nancy et
de Paris, avant d'enseigner à l'Ecole Polytechnique
et au Collège de France. C'est incontestablement
ce couplage au plus niveau entre recherche et formation
qu'il nous faut maintenir pour assurer de manière
durable le rang scientifique auquel aspire notre pays.
Mathématicien
de renommée mondiale, Jacques-Louis Lions a consacré
l'essentiel de ses travaux aux équations à
dérivées partielles et à la théorie
du contrôle des systèmes. Au début
des années cinquante, les équations aux
dérivées partielles étaient déjà
un des domaines d'excellence des mathématiques
françaises avec Laurent Schwartz et Jean Leray.
Jacques-Louis Lions a donné rapidement, à
partir des années soixante, une orientation nouvelle
au domaine. Il exercera une grande influence sur la
communauté mathématique française,
particulièrement dans le domaine de l'analyse
numérique, de l'informatique, de la théorie
du contrôle, en liaison, par exemple, avec le
guidage des lanceurs spatiaux. Il consacra une partie
de son activité de chercheur à l'étude
du système d'équations régissant
les mouvements de l'atmosphère, de l'océan
et de leur couplage. Jacques-Louis Lions est à
ces titres divers le père de toute une école
mathématique.
Sa
conception des mathématiques est illustrée
par une déclaration faite en 1991:
"
Ce que j'aime dans les mathématiques appliquées,
c'est qu'elles ont pour ambition de donner du monde
des systèmes une représentation qui permette
de comprendre et d'agir. Et, de toutes les représentations,
la représentation mathématique, lorsqu'elle
est possible, est celle qui est la plus souple et la
meilleure. Du coup, ce qui m'intéresse, c'est
de savoir jusqu'où on peut aller dans ce domaine
de la modélisation des systèmes, c'est
d'atteindre les limites".
Jacques-Louis
Lions fut aussi l'artisan du développement de
l'informatique. Il était convaincu que l'ordinateur
changerait tout. A la tête de l'INRIA de 1980
à 1984, il insiste sur l'aspect concret de la
science et sur les relations qu'elle doit obligatoirement
entretenir avec le monde de l'industrie.
Il
se révèle alors être un manager
remarquable tant au niveau de l'organisation que de
la direction scientifique de l'INRIA. Les critères
qu'il proposait pour juger de la qualité d'un
projet: "excellence scientifique, potentiel d'application,
coopération internationale ", sont d'une
actualité permanente pour toutes les recherches
que souhaite soutenir l'Etat.
Jacques-Louis
Lions fut également un des responsables de l'aventure
spatiale européenne. C'est en 1984 que Jacques-Louis
Lions prend en effet la tête du CNES, au moment
de son essor avec le programme Ariane notamment. Il
occupera cette haute fonction jusqu'en 1992. Ce fut
un homme de conviction qui sut convaincre les ministres
de la nécessité de développer des
programmes ambitieux. Il a joué un rôle
essentiel, en tant que négociateur, tant dans
la signature des accords franco-américains avec
la NASA que dans celle des accords franco-soviétique,
puis franco-russe avec la deuxième mission de
J.L. Chrétien et la mission de M. Tognini.
En
1985, rejoignant moi-même le CNES, j'eus la chance
de connaître Jacques-Louis LIONS. Je veux témoigner
ici de ses qualités humaines, en même temps
que du grand respect qu'il inspirait à chacun,
pour cette raison en même temps que pour son uvre
et son appartenance à l'Académie des Sciences.
Quatre
ans après son départ du CNES, il fut d'ailleurs
appelé, dans une situation critique, à
présider avec succès le comité
constitué pour analyser l'échec de la
mission d'Ariane 501. Et son diagnostic s'est révélé
sûr.
Jacques-Louis
Lions fut enfin un académicien engagé.
Membre
de l'Académie des sciences depuis 1973 au titre
de la mécanique, Jacques-Louis Lions fut président
de 1996 à 1998, où il dirige notamment
le Comité 2000, constitué à la
demande du Président Jacques Chirac pour, au
seuil du XXIe siècle, "faciliter l'accès
de tous à la connaissance, contribuer à
la préservation du cadre de vie et améliorer
la santé de chacun." Jacques-Louis Lions
a lancé la réforme de l'Académie
des sciences, qui a, en particulier, pour objectif de
réaffirmer son rôle vis-à-vis de
la société. Il jouera un rôle important
dans la création d'une Académie des technologies.
Cet
" homme sans frontières " initia la
coopération franco-italienne, la coopération
franco-espagnole, la coopération franco-chinoise
et bien sûr la coopération franco-russe.
Il me plaît de saluer ici quelques-uns uns des
plus éminents membres de ces pays. Il a également
apporté son soutien à des opérations
en faveur du développement de la recherche en
Afrique et plus généralement à
l'action du Centre International de Mathématiques
Pures et Appliquées (CIMPA).
Jacques-Louis
Lions nous laisse un héritage considérable,
et aussi des repères pour l'avenir. Il a publié
20 livres et plus de 500 articles relatifs aux équations
aux dérivées partielles sous leurs divers
aspects : recherche fondamentale, applications, mises
en oeuvre numérique, modélisation
Parmi
tous ces livres, on ne peut passer sous silence le célèbre
" Lions-Magenes " en trois volumes sur les
problèmes aux limites et le traité collectif
de 9 volumes: Analyse mathématique et Méthodes
numériques pour la Science et la Technologie
qu'il publia avec Robert Dautray.
Le
Ministère de la Recherche et des Nouvelles Technologies
est heureux de pouvoir contribuer à l'édition
d'une sélection de ses uvres en trois volumes.
Jacques-Louis
Lions a fait preuve d'un très haut sens du service
de l'Etat. Il laisse le souvenir d'un grand scientifique
généreux et entièrement dévoué
à la science et à la société.
C'est un scientifique exemplaire qu'il me plaît
d'honorer.
La
vie de Jacques-Louis Lions montre la voie pour les mathématiques
françaises : d'une part, rester au meilleur niveau
d'excellence et d'autre part, poursuivre l'ouverture
de l'Ecole mathématique aux autres sciences,
et plus généralement développer
sa capacité de réponse aux besoins de
la société.
Beaucoup
d'indicateurs confirment la haute place qu'a acquise
l'Ecole mathématique française et qu'elle
doit conserver. Songeons aux sept Médailles Fields
dont la France peut s'enorgueillir avec, en particulier,
celles décernées en 1994 à Jean-Christophe
Yoccoz qui présentera une communication à
ce colloque et à Pierre-Louis Lions, que je salue
ici. Songeons au nombre de conférenciers français
invités au prochain congrès international
des mathématiciens de Pékin, qui place
la France au deuxième rang mondial.
Le
passé a montré l'interaction profonde
et permanente de la science mathématique avec
la physique et la mécanique. Nous avons rappelé
qu'elle avait été à la source du
développement de l'informatique et qu'elle a
joué un rôle essentiel dans le développement
de la recherche spatiale. L'avenir doit montrer qu'elle
est capable, tout en continuant de briller dans les
travaux fondamentaux, de relever d'autres défis,
dans les sciences de la vie bien sûr, mais aussi
dans les nouvelles technologies, l'environnement, l'économie...
Le
ministère de la Recherche que j'ai l'honneur
de diriger encourage sans réserve la communauté
des mathématiciens français à s'engager
résolument dans ces directions, dans le droit
fil de l'héritage de Jacques Louis Lions.
Je
vous souhaite de belles journées de travail,
et je vous remercie de votre attention.