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Jacques-Louis Lions
(1928-2001)
Par Jean Mawhin
Membre de la Classe
Notre confrère Jacques-Louis Lions est décédé à Paris, le 17 mai dernier,
vaincu par une maladie contre laquelle il a lutté avec courage et discrétion.
Il était né à Grasse, le 2 mai 1928.
Après avoir fait partie des Forces Françaises de l'Intérieur en 1943 et 1944,
Jacques-Louis Lions entre à l'Ecole Normale Supérieure en 1947. Agrégé de
mathématiques en 1950, il commence sa carrière comme chercheur au CNRS en
1950. Docteur ès sciences de l'Université de Paris en 1954 (sous la direction
de Laurent Schwartz), Jacques-Louis Lions est successivement nommé professeur
à la Faculté des Sciences de Nancy en 1954, à la Faculté des Sciences de Paris
en 1962, à l'Ecole Polytechnique en 1966 et au Collège de France en 1973. Il
y occupe, jusqu'à son honorariat en 1998, la chaire d'analyse mathématique
des systèmes et de leur contrôle.
Internationalement reconnu et recherché pour la clarté et l'élégance de ses
exposés, chef d'école incontesté des mathématiques applicables et appliquées
en France, qu'il a défendues dans une période où trop de mathématiciens les
méprisaient, Jacques-Louis Lions s'est fait dans le monde l'ambassadeur d'une
mathématique à la fois utile et belle, rigoureuse et efficace. Les
applications sont l'aune à laquelle il mesure la puissance et l'efficacité
des techniques mathématiques qu'il développe, et la source d'inspiration des
nouveaux concepts qu'il introduit. Toute sa vie, il renverra dos-à-dos les
fanatiques de l'art pour l'art et les indécrottables de l'utilitaire. Soucieux
des aspects numériques de sa discipline, il comprend très tôt que
l'informatique, loin de remplacer la recherche mathématique, ne peut que
la stimuler et l'enrichir.
Les compétences scientifiques, l'ouverture d'esprit et le charme de sa
personnalité ont fait de Jacques-Louis Lions un consultant demandé et
écouté : il préside l'Institut National de Recherche en Informatique et
en Automatique (INRIA) entre 1980 et 1984, le Centre national d'Etudes
Spatiales (CNES) de 1984 à 1992, et le Conseil scientifique de l'EDF dès
1986. Il a été conseiller scientifique de Pechiney, de Dassault-Aviation,
de Gaz de France. Ce sont là des tâches rarement dévolues à un mathématicien.
Mais il est aussi reconnu et apprécié par ses pairs. Secrétaire, entre 1975
et 1982, de l'Union Mathématique Internationale, Jacques-Louis Lions la
préside entre 1991 et 1994. C'est sur son initiative que l'an 2000 fut
proclamé année des mathématiques.
Les premiers travaux de notre confrère ont porté sur des questions très
fines de la théorie des distributions et de l'analyse fonctionnelle, comme
la transformée de Laplace, la théorie des traces, et l'interpolation des
espaces fonctionnels. Très vite, il a vu le parti qu'on peut en tirer dans
l'étude des équations aux dérivées partielles linéaires et non linéaires,
non seulement celles de la physique classique, mais celles qui modélisent
des phénomènes nouveaux en mécanique des milieux continus,
magnétohydrodynamique ou même en gestion. Ses résultats, avec Enrico Magenes,
sur les problèmes aux limites linéaires non homogènes, sont classiques.
La généralisation des opérateurs monotones développée avec Jean Leray a
modelé le développement de cette théorie. Jacques-Louis Lions a étudié des
problèmes de frontière libre par des inéquations variationnelles, élaboré
des méthodes d'homogénéisation pour analyser les structures périodiques ou
les matériaux composites. Conscient du rôle fondamental des mathématiques
dans la compréhension des phénomènes naturels et humains, Jacques-Louis
Lions est également convaincu de l'importance de l'action. Il n'est pas
étonnant qu'il soit devenu un maître incontesté de la théorie du contrôle
des systèmes régis par des équations aux dérivées partielles, dont il a
approfondi les aspects déterministes ou stochastiques. Dans la dernière
partie de sa carrière, il s'est penché sur des modèles mathématiques liés
à des questions de climatologie et d'environnement.
Son oeuvre monumentale est riche de plus de quatre cents articles
scientifiques, auxquels s'ajoutent une bonne vingtaine d'ouvrages de haut
niveau, souvent rédigés en français, et aussitôt traduits en anglais et en
russe. Jacques-Louis Lions a participé à l'édition de nombreux ouvrages
collectifs : une trentaine de comptes-rendus de conférences qu'il a
organisées partout dans le monde, douze volumes du séminaire du Collège de
France qu'il a dirigé avec Haïm Brezis, un monumental traité, en neuf tomes,
avec Robert Dautray, sur l'analyse mathématique et le calcul numérique pour
les sciences et les techniques, et un traité, en sept volumes, avec Philippe
Ciarlet, sur l'analyse numérique.
Les honneurs, que Jacques-Louis Lions accueille avec simplicité et bonhomie,
jalonnent cette carrière exceptionnelle. Quatre fois lauréat de l'Institut,
il a reçu les prestigieux Prix von Neumann et Prix du Japon (1991). Elu à
l'Académie des Sciences de Paris, dans la section des sciences mécaniques,
le 12 février 1973, notre confrère l'a présidée entre 1996 et 1998. De
nombreuses sociétés savantes d'Europe et d'Amérique ont suivi l'exemple
donné en 1973 par la Société Royale des Sciences de Liège en le nommant
membre correspondant, étranger ou associé. Des universités du monde entier
ont suivi l'exemple donné la même année par l'Université de Liège en lui
conférant le titre de Docteur honoris causa. Des fondations prestigieuses,
comme la Fondation Aisenstadt, lui ont attribué des chaires enviées, à
l'exemple de la chaire Francqui internationale que Jacques-Louis Lions
occupa en 1968-69, à la faculté des sciences appliquées de l'Université
de Liège. On voit que les liens entre le mathématicien français et la
Belgique sont nombreux, solides et ne datent pas d'hier. Une longue amitié
le liait à notre regretté confrère Garnir, née au cours d'un séjour commun
à Nancy dans les années cinquante.
C'est le 4 janvier 1986 que notre Classe a élu Jacques-Louis Lions comme
membre associé. Chacun se souvient du magnifique exposé par lequel il
inaugura, il y a deux ans, le Symposium de la Fondation Ochs-Lefebvre. Sa
conférence, intitulée "Des espaces de fonctions à l'action", brossa un
admirable tableau de l'évolution des mathématiques au cours du XXe siècle, et
constitua une admirable synthèse de la philosophie scientifique de notre
confrère.
Jacques-Louis Lions avait épousé Andrée Olivier en 1950. Leur fils
Pierre-Louis, normalien comme son père, poursuit à l'Université
Paris-Dauphine une brillante carrière de mathématicien. Il a reçu en 1994 la
médaille Fields, la plus haute distinction attribuée à un mathématicien de
moins de quarante ans.
L'homme est admirablement décrit dans la préface à un ouvrage dédié à
Jacques-Louis Lions à l'occasion de son soixantième anniversaire :
" Rayonnant d'intelligence, d'une gentillesse et d'une amabilité permanentes,
Jacques-Louis Lions est à l'écoute des autres et il a l'art de mettre à l'aise
ses interlocuteurs; optimiste à tout crin, il sait toujours prendre avec
humour les difficultés; de plus, il a certainement hérité des qualités de
simplicité et de rigueur de son directeur de thèse; et c'est aussi l'homme qui
a résisté à des propositions fantastiques : les endroits les plus prestigieux,
les moyens les plus importants, les postes les plus élevés lui ont été
offerts. Jacques-Louis Lions a beaucoup reçu; c'est peut-être parce qu'il a su
beaucoup donner aux autres pour qu'ils s'épanouissent."
Tous ceux qui ont eu la chance de le connaître personnellement adhéreront
sans réserve à ce portrait. Quels que soit l'endroit ou les circonstances
d'une rencontre, l'accueil est toujours simple et chaleureux. Quel que soit
l'objet d'une correspondance, la réponse est rapide et le style empreint de
gentillesse.
Chez cet homme d'exception, le coeur fut toujours à la hauteur de l'esprit,
le caractère fut toujours à la hauteur de l'intelligence. Ses innombrables
élèves savent ce que le paysage mathématique français doit à son oeuvre et à
son action. Les mathématiciens du monde entier reconnaissent qu'il a fait des
mathématiques appliquées une discipline respectée dans l'université et
courtisée au-dehors. Sa présence a profondément marqué la communauté
mathématique pendant la deuxième moitié du XXe siècle. Ses travaux baliseront
le développement des mathématiques appliquées du siècle qui commence.
Ouvrages scientifiques
- Equations différentielles opérationnelles et problèmes aux limites, Springer, Berlin, 1961.
- Problèmes aux limites dans les équations aux dérivées partielles, Presses Univ. Montréal, Montréal, 1962
- Lectures on elliptic partial differential equations, Tata Institute, Bombay, 1967
- Méthode de quasiréversibilité et applications (avec R. Lattès), Dunod, Paris, 1967. Trad. anglaise American Elsevier, New York, 1969. Trad. russe Mir, Moscou, 1970
- Contrôle optimal de systèmes gouvernés par des équations aux dérivées partielles, Dunod, Paris, 1968. Trad. anglaise Springer, Berlin, 1970. Trad. russe Mir, Moscou, 1972
- Problèmes aux limites non homogènes et applications (avec E. Magenes), 3 vol., Dunod, Paris, 1968-1970. Trad. russe Vol. 1, Mir, Moscou, 1971. Trad. anglaise, Springer, Berlin, 1972-1973
- Quelques méthodes de résolution des problèmes non linéaires, Dunod, Paris, 1969. Trad. russe Mir, Moscou, 1972
- Les inéquations en mécanique et en physique (avec G. Duvaut), Dunod, Paris, 1972. Trad. anglaise Springer, Berlin, 1976. Trad. russe Nauka, Moscou, 1980
- Some aspects of the optimal control of distributed parameter systems, CBMS Conf. No. 6, SIAM, Philadelphia, 1972
- Sur le contrôle optimal des systèmes distribués, Monographie No. 20 Enseignement math., Geneva, 1973. Trad. russe, UMN 28, 1973
- Perturbations singulières dans les problèmes aux limites et en contrôle optimal, Springer, Berlin, 1973
- Analyse numérique des inéquations variationnelles (avec R. Glowinski et R. Trémolières) , 2 vol., Dunod, Paris, 1976. Trad. anglaise North-Holland, Amsterdam, 1981
- Sur quelques questions d'analyse, de mécanique et de contrôle optimal, Presses Univ. Montréal, Montréal, 1976
- Applications des inéquations variationnelles au contrôle stochastique (avec A. Bensoussan), Dunod, Paris, 1978. Trad. anglaise North Holland, 1982
- Asymptotic analysis for periodic structures (avec A. Bensoussan et G. Papanicolaou), North Holland, Amsterdam, 1978
- Some methods in the mathematical analysis of systems and of their control, Science Press, Beijing; Gordon & Breach, New York, 1981
- Contrôle impulsionnel et inéquations variationnelles (avec A. Bensoussan), Gauthier-Villars, Paris, 1982. Trad. anglaiseHeyden & Son, Philadelphia, 1984
- Contrôle des systèmes distribués singuliers, Gauthier-Villars, Paris, 1983. Trad. russe Nauka, Moscou, 1987
- Contrôlabilité exacte, perturbation et stabilisation de systèmes distribués, 2 vol., Masson, Paris, 1988
- Modeling, analysis and control of thin plates (with J. Lagnese), Masson, Paris, 1988
- Sentinelles pour les systèmes distribués à données incomplètes, Masson, Paris, 1992
Edition d'ouvrages collectifs
- Nonlinear partial differential equations and their applications. Collège de France Seminar (with H. Brezis), 12 vol., Pitman-Longman, 1981-1994
- Analyse mathématique et calcul numérique pour les sciences et les techniques (avec R. Dautray), 9 vol., Masson, Paris, 1984-1988. Traduction anglaise des 6 premiers volumes, Springer, Berlin, 1988-1993
- Handbook of numerical analysis (avec P. Ciarlet), 7 vol., North-Holland, Amsterdam, 1990-2000
Ouvrages dédiés à J.L. Lions
- Analyse mathématique et applications. Contributions en l'honneur de Jacques-Louis Lions, Gauthier-Villars, Montrouge, 1988
- Frontiers in pure and applied mathematics. A collection of papers dedicated to Jacques-Louis Lions on the occasion of his sixtieth birthday, (R. Dautray, ed.), North-Holland, Amsterdam, 1991
- Equations aux dérivées partielles et applications. Articles dédiés à Jacques-Louis Lions, Gauthier-Villars, Paris, 1998
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